Alors, je verse le thé, / So, I pour the tea,
- Alcina Ribeiro Hamdi
- 17 avr.
- 3 min de lecture
Ce sont les derniers jours du sauna au bord du lac. Le printemps s’est installé, clairement, intensément. Chaque année, il revient à sa manière. Imprévisible. Unique.
Ce contraste entre le chaud et le froid, celui qui invite le souffle, et ouvre l’espace à la contemplation.
Assise sur les planches de bois, je regardais les trois petites cicatrices sur ma cheville. Elles ont presque disparu. Et la douleur, elle, elle vit sa vie, sous forme de vagues. C’est étrange, de penser qu’une opération si importante ne laisse que trois minuscules brèches. Trois portes entrouvertes sur le passé. Réparer ce qui fut blessé. Et tout est d’une certaine manière, réparé.
Je me souviens très bien pourquoi je m’étais tordu la cheville. Il y a vingt-six ans. Je voulais me cacher. Cette habitude. Se cacher. Quelle idée étrange. Nous ne sommes pas venu.e.s sur Terre pour cela.
Avez-vous déjà envisagé que notre incarnation était une forme de responsabilité ? Que nous sommes ici. Précisément. Pour notre évolution, certes, mais aussi pour les autres. Pour celles et ceux que nous touchons, influons, inspirons. Et si, aujourd’hui, vous décidiez de ne plus vous cacher ? Et si vous imitiez l’arbre qui fleurit. Responsable de ses racines, sa sève, ses feuilles, sa floraison, ses fruits, son pollen, ses abeilles, ses oiseaux, son ombre, son oxygène, son dépouillement. Sans se poser de question. Que se passerait-il ?
Alors,
Je verse le thé,
comme on caresse une fracture,
en conscience,
avec l’or d’un silence.
Chaque brèche est une invitation,
chaque fissure, un passage,
où ma voix s’immisce,
chaude et nue,
pour dire :
tu es belle,
même cassée.
Il y a dans le thé,
quelque chose du kintsugi,
cette manière d’infuser les douleurs,
jusqu’à les rendre buvables.
Comme les feuilles qui se déploient,
avant de révéler la subtilité de leur saveur.
De leur sagesse.
Je te parle avec cette voix,
volée à la nuit,
pour que tu m’écoutes,
là où tu croyais ne plus pouvoir entendre.
Je glisse mes mots dans tes failles,
non pour les réparer,
mais pour les honorer,
avec cette tendresse,
qu’on ne réserve
qu’aux cicatrices précieuses.
Et soudain,
tu n’es plus cassée,
tu es simplement rehaussée d’or.
Riche d’une vie,
où tu as trébuché mille fois,
pour finalement t’apercevoir,
que tu étais un oiseau.
Et que tu savais voler.
—
These are the last days of the sauna by the lake. Spring has arrived, clearly, intensely. Each year, it returns in its own way. Unpredictable. Unique.
That contrast between heat and cold, the one that invites the breath, and opens the space for contemplation.
Sitting on the wooden boards, I looked at the three small scars on my ankle. They’ve almost disappeared. And the pain, it lives its own life, in waves. It’s strange, to think that such a major surgery left only three tiny openings. Three doors ajar to the past. To mend what was wounded. And somehow, everything is mended.
I remember very clearly why I twisted my ankle. Twenty-six years ago. I wanted to hide. That habit, hiding. What a strange idea. We did not come to Earth for that.
Have you ever considered that our incarnation is a kind of responsibility ? That we are here. Precisely. For our own evolution, yes, but also for others. For those we touch, influence, inspire. And what if, today, you decided to stop hiding? What if you mirrored the tree that blossoms ? Responsible for its roots, its sap, its leaves, its blooming, its fruits, its pollen, its bees, its birds, its shade, its oxygen, its shedding. Without questioning. What would happen then ?
So,
I pour the tea,
as one might caress a fracture,
with awareness,
and the gold of silence.
Each crack is an invitation,
each fracture,
a passage,
where my voice slips in,
warm and bare,
to say:
you are beautiful,
even broken.
There is, in tea,
something of kintsugi,
this way of steeping pain,
until it becomes drinkable.
Like leaves unfolding
before revealing
the subtlety of their flavor.
Of their wisdom.
I speak to you with this voice,
stolen from the night,
so that you might hear me,
where you thought,
you could no longer listen.
I slip my words into your fissures,
not to repair them,
but to honor them,
with that tenderness,
reserved only,
for precious scars.
And suddenly,
you are no longer broken,
you are simply veined with gold.
Rich with a life ,
where you stumbled ,
a thousand times,
only to finally realize,
you were a bird.
And you knew how to fly.
Comments